« L’affaire Guillaume Kigbafori Soro et autres c. République de Côte d’Ivoire » : une décision de grande portée
Par Roger Koudé, Titulaire de la Chaire Unesco « Mémoire, Cultures et Interculturalité » de l'UCLy, professeur de droit international.
mis à jour le 5 juin 2020
Chaire UNESCO "Mémoire, cultures et interculturalité"
La décision rendue par la Cour africaine le 22 avril 2020 dans «l'affaire Soro» est de nature provisoire. Par conséquent, elle ne peut préjuger des conclusions que cette juridiction aura à formuler ultérieurement sur sa compétence, sur la recevabilité et le fond de l'affaire. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une mesure dont la portée dépasse de loin le cadre ivoirien et, à ce titre, retient l'attention à plus d'un titre.
Dans l'affaire Guillaume Kigbafori Soro et autres c. République de Côte d'Ivoire, la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après la « Cour africaine ») a rendu « à l'unanimité » (sic) une ordonnance le 22 avril 2020 par laquelle elle ordonne à l'Etat défendeur (la Côte d'Ivoire) de : « surseoir à l'exécution du mandat d'arrêt émis contre Guillaume Kigbafori Soro »; surseoir à l'exécution des mandats de dépôt décernés contre les Requérants [...] ; « faire un rapport à la Cour sur la mise en œuvre des mesures provisoires ordonnées dans la présente décision dans un délai de trente (30) jours, à compter de la date de sa réception ».
Cette décision a dû avoir une résonance particulière en Côte d'Ivoire, en raison du contexte politique actuel marqué par la préparation des échéances électorales de la fin de cette année civile avec, en point de mire, l'élection présidentielle prévue au mois d'octobre et à laquelle Guillaume Soro s'est déclaré candidat. Mais, au-delà de la Côte d'Ivoire, la décision de la Cour africaine a dû avoir également sur tout le continent africain une résonance aussi forte que l'arrêt prononcé le 15 janvier 2019 par la Cour pénale internationale pénale (CPI), portant acquittement de l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé (il est à préciser que cette décision est frappée d'un acte d'appel de l'Accusation, déposé le 16 septembre 2019).
En revanche, l'affaire Guillaume Kigbafori Soro et autres c. République de Côte d'Ivoire vient de connaître un nouveau rebondissement, avec la condamnation le 28 avril 2020 par la justice ivoirienne du même Guillaume Kigbafori Soro à 20 ans de prison, 4.5 milliards de francs CFA d'amende et à la privation de ses droits civiques pendant cinq ans. Le Gouvernement ivoirien vient d'annoncer également sa décision de retrait du droit reconnu aux individus et aux organisations non gouvernementales (ONG) de soumettre des plaintes à la juridiction continentale.
La condamnation prononcée par la justice de l'Etat défendeur le 28 avril 2020 et le retrait de la déclaration de compétence prévue au Protocole ne changent fondamentalement rien à la nature même et à la portée de l'Ordonnance susvisée de la juridiction continentale qui dépasse largement le cadre ivoirien et qu'il convient d'analyser.
Une décision provisoire, mais de grande portée
Guillaume Soro, ancien Premier ministre de la République de Côte d'Ivoire et ancien président de l'Assemblée nationale, fut le premier à s'être déclaré candidat à l'élection présidentielle d'octobre 2020. Or, le mandat d'arrêt émis le 23 décembre 2019 par la justice ivoirienne contre ce candidat, au moment même où il s'apprêtait à lancer officiellement sa campagne, et l'arrestation des principaux cadres de son mouvement politique, étaient de nature à le priver de son droit de solliciter le suffrage des électeurs ivoiriens à l'élection susvisée.
C'est dans ce contexte que la Cour africaine fut saisie d'une requête contre l'Etat de Côte d'Ivoire. Il convient de relever que la décision rendue par la Cour africaine le 22 avril 2020 est de nature provisoire. Par conséquent, elle ne peut préjuger des conclusions que cette juridiction aura à formuler ultérieurement sur sa compétence, sur la recevabilité et le fond de l'affaire.
Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une mesure dont la portée dépasse de loin le cadre ivoirien et, à ce titre, retient l'attention à plus d'un titre. En effet, la Cour africaine est une institution essentielle dans le processus d'intégration continentale par le moyen de la protection des droits de l'homme et des peuples. Par cette décision, elle semble s'inscrire dans une certaine tradition qui tend à renforcer l'autorité de l'Etat de droit en Afrique, rappelant ainsi son rôle de gardienne des libertés fondamentales et, au besoin, en raisonnant la « raison d'Etat » !
Ainsi qu'il est précisé dans la décision de la Cour africaine, « [...], les Requérants sont des ressortissants ivoiriens et hommes politiques et parlementaires, dont certains ont occupé des hautes fonctions politiques de Premier Ministre et de Chef du Gouvernement, de Président de l'Assemblée nationale ou de chefs de partis politiques. Ils font l'objet de mandats d'arrêt et de dépôt émis à leur encontre dans le cadre d'une procédure pénale de détournement de deniers publics, de recel de bien public et de complot contre l'Autorité de l'Etat et l'intégrité du territoire national déclenchée le 20 décembre 2019».
Une décision instructive dans la continuité d'une jurisprudence consolidée
La Cour africaine a inauguré sa mission par une décision hautement symbolique et instructive au travers de son tout premier arrêt au fond le 14 juin 2013, dans le cadre des affaires jointes Tanganyika Law Society & The Legal and Human Rights Centre c. Tanzanie et Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie.
Cet arrêt inaugural de la Cour africaine semble s'inscrire dans la logique d'un positionnement stratégique des instances continentales en matière de contrôle et de sanction des droits de l'homme et des peuples en Afrique avec, en toile de fond, la problématique de l'Etat de droit et du droit fondamental des citoyens de participer à la direction des affaires publiques de leurs pays.
Il y a quelques années, il nous a été donné de proposer deux réflexions visant à mettre en relief le rôle de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après la « Commission africaine ») comme un acteur majeur du processus de démocratisation et d'émergence de l'Etat de droit en Afrique. Ces deux contributions renvoient respectivement aux questions suivantes :
- « Le rôle et la contribution de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples à l'émergence de l'Etat de droit et de la démocratie en Afrique » (In Etudes interculturelles, 7/2014, pp. 77-88) ;
- « Le positionnement stratégique de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples dans le cadre du processus de démocratisation et d'émergence de l'Etat de droit en Afrique » (In Revue de l'Université catholique de Lyon, 11/2007, pp. 36-42).
Or, statutairement et conformément à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après la « Charte africaine »), la Commission africaine est un simple organe de promotion et de consultation en matière de droits de l'homme et des peuples en Afrique, même si, de façon absolument unique, la Charte de Banjul confère à cette instance des moyens d'interprétation des règles de droit bien au-delà du corpus juridique spécifiquement africain.
Mais, consciente de la nécessité de garantir le respect du droit et des libertés fondamentales comme une condition sine qua non pour l'émergence de l'Etat de droit et de la démocratie sur le continent africain, et au fil des affaires dont elle a été saisie, la Commission africaine a développé une stratégie ouvertement offensive, en marquant sans discontinuer son autorité vis-à-vis des Etats parties et relativement à leurs ordres juridiques internes.
Ce faisant, et au travers d'une pratique aussi constante que riche d'enjeux juridiques, la Commission africaine s'était dotée d'une compétence interprétative quasi juridictionnelle qui, incontestablement, ne cesse d'inspirer la Cour africaine.
Si ce qui précède tend à montrer que le développement de l'ordre africain de protection des droits de l'homme et des peuples contribue à consolider le processus d'émergence de l'Etat de droit et de la démocratie en Afrique, cette activité jurisprudentielle met aussi à nu certaines pratiques politiques et/ou judiciaires peu conformes aux engagements conventionnels des Etats parties. En effet, à quelques exceptions près, l'Etat de droit et la démocratie sont encore loin d'être une réalité quotidienne pour les citoyens de nombreux Etats africains, trois décennies après l'euphorie des fameuses conférences nationales souveraines, marquées par le retour au pluralisme politique, après une longue parenthèse de monopartisme. De même, bien que le processus de démocratisation suive son cours sur le continent africain, il n'est pas rare d'assister aujourd'hui encore à des hold-up électoraux ou encore à des tentatives de « monarchisation » ou de « patrimonialisation » du pouvoir de l'Etat, qui sont de nature à verrouiller la compétition politique démocratique.
Ces pratiques politiques, génératrices de frustrations, de violences endémiques et d'instabilité, voire de la faillite de l'Etat, sont aussi à l'origine des violations répétées des droits de l'homme, parfois graves et massives, du règne de l'impunité, etc. Tout cela s'accompagne également souvent de la généralisation de la corruption, un véritable fléau dans de nombreux Etats du continent...
S'agissant des droits de l'homme et de libertés fondamentales, les textes constitutionnels africains sont généralement irréprochables et les États font souvent figure de « bons élèves », notamment par la ratification des instruments juridiques internationaux y relatifs. Dans la plupart des cas, cependant, très peu d'efforts sont entrepris pour que les engagements pris au niveau international aient une réelle effectivité au plan national.
Toutefois, en souscrivant à une interprétation dynamique et plus large de la notion d'engagement de l’État, tout en développant une stratégie jurisprudentielle constamment offensive, les instances africaines de protection des droits de l'homme se positionnent clairement comme des acteurs essentiels de l'édification d'une société africaine plus démocratique, placée sous l'autorité et la prééminence du droit. C'est au travers de ce positionnement stratégique des instances africaines de protection des droits et de peuples que l'on peut saisir véritablement la portée globale et téléologique de l'affaire Guillaume Kigbafori Soro et autres c. République de Côte d'Ivoire.
Certes, il n'est pas aisé de savoir à quel degré précisément ces instances continentales ont pu influencer (et continuent d'influencer aujourd'hui !) le processus de démocratisation et d'émergence de l'Etat de droit en Afrique. Mais il n'en demeure pas moins qu'au travers de leur pratique interprétative rigoureuse des règles du droit continental, ces instances fournissent des indicateurs suffisamment pertinents pour une évaluation objective du rôle positif qu'elles ne cessent de jouer dans l'évolution politique, juridique et judiciaire des Etats africains, en particulier au cours de ces trois dernières décennies.
C'est pourquoi, l'hypothèse que la Commission africaine ait pu inspirer l'Organisation continentale peut se vérifier entre autres au travers de l'Acte constitutif de l'Union africaine qui consacre de nombreuses dispositions aux droits de l'homme, à la démocratie et à l’État de droit, de façon innovante et bien loin des querelles idéologiques du passé. Aussi, l'Union africaine s'engage-t-elle dès le Préambule de son Acte constitutif « à promouvoir les droits de l'homme et des peuples, à consolider les institutions et la culture démocratiques, à promouvoir la bonne gouvernance et L’État de droit » sur le continent africain.
Une décision judicieuse
Il est sans conteste que l'évolution actuelle du droit continental fait émerger, progressivement et irréversiblement, une nouvelle conception des droits de l'homme et des peuples, de la démocratie et de l’État de droit en Afrique. L'évolution et cette nouvelle vision sont aussi l'œuvre des instances sous-régionales africaines, comme l'on peut en déceler quelques éléments, notamment dans l'arrêt du 29 juin 2018 de la Cour de justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). En effet, dans l'affaire Khalifa Ababacar Sall et autres c. l’État du Sénégal, qui n'est pas détachable des stratégies et considérations politiques, la juridiction ouest-africaine a considéré que l’État du Sénégal a failli à son obligation consistant à faire respecter le droit à la présomption d'innocence des requérants résultant des prescriptions de l'article 7 de la Charte africaine.
Il s'agit d'une conception non plus axée sur des dénonciations exclusives des politiques étrangères d'ingérence, parfois préjudiciables à l'Afrique, mais d'une nouvelle vision tournée vers les pratiques africaines et vers le continent lui-même, comme un espace de paix et de développement favorable aux libertés fondamentales, au droit et à la justice. L'Union africaine en a souvent donné la preuve, et de façon irréfutable, entre autres, avec la création 2013 des Chambres africaines extraordinaires (Cae). Ce qui a permis à cette juridiction spéciale, née d'un accord avec l'Etat du Sénégal, de connaître des crimes internationaux commis au Tchad entre 1982 et 1990.
Tels sont, entre autres, les défis qui interpellent les sociétés africaines aujourd'hui et qu'elles doivent savoir relever avec intelligence. Et la décision que vient de rendre la bien nommée « Cour africaine des droits de l'homme et des peuples », dans l'affaire Guillaume Kigbafori Soro et autres c. République de Côte d'Ivoire, va dans ce sens. Cette décision est judicieuse et, par sa portée, elle transcende le cadre strict de la République de Côte d'Ivoire, en cette année marquée par la tenue de plusieurs élections sur le continent africain...
C'est pourquoi la sanction prononcée le 28 avril 2020 par la justice ivoirienne, en dépit du statu quo ante ordonné par la Cour africaine, sonne comme un véritable défi à la juridiction continentale et à son magistère.
L’État défendeur chercherait-il à défier le magistère de la juridiction continentale ?
En effet, ainsi qu'il est libellé dans l'Ordonnance susvisée de la Cour africaine, la juridiction continentale a requis l'observation du « statu quo ante » (sic) par l'Etat défendeur et ce, jusqu'à la décision de fond qu'elle aura à rendre ultérieurement. Autrement dit, la Cour africaine ordonne à l'Etat de Côte d'Ivoire de revenir à la situation antérieure au 23 décembre 2019, correspondant à la date d'émission des mandats d'arrêt et de dépôt à l'encontre de Guillaume Kigbafori Soro et autres.
En toute logique, l'observation du statu quo ante devrait conséquemment impliquer la suspension de toute procédure à l'encontre des Requérants concernés par l'Ordonnance susvisée de la Cour africaine, y compris Guillaume Kigbafori Soro qui est d'ailleurs le principal concerné par cette affaire.
Sur le plan principiel, la condamnation prononcée le 28 avril 2020 contre Guillaume Kigbafori Soro par la justice de l'Etat défendeur, nonobstant les mesures provisoires ordonnées par la juridiction continentale le 22 avril 2020, suscite de nombreuses interrogations, parmi lesquelles :
- C'est à l'unanimité, et sur le fondement de l'article 27(2) de son Protocole qui prévoit que « dans les cas d'extrême gravité et lorsqu'il s'avère nécessaire d'éviter des dommages irréparables à des personnes, la Cour ordonne les mesures provisoires qu'elle juge pertinentes », que la juridiction continentale a motivé sa décision de faire droit aux demandes des Requérants, en ordonnant à l'Etat défendeur l'observation du statut quo ante. L'Etat de Côte d'Ivoire aurait-il, sur le plan strict du droit, une objection quelconque par rapport à cette décision ? Dans l'affirmative, il serait dans l'intérêt de la justice continentale et des justiciables africains que l'Etat de Côte d'Ivoire fasse connaître ses arguments ;
- Il convient de rappeler que la Côte d'Ivoire est un Etat membre-fondateur de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA, désormais Union africaine), un Etat partie à la Chartre africaine et a reconnu la compétence juridictionnelle de la Cour africaine, conformément aux dispositions de l'article 34(6) de son Protocole, etc. De ce qui précède, l'Etat de Côte d'Ivoire peut-il valablement ne pas se conformer aux mesures ordonnées par la juridiction d'Arusha, dont nous avons tenu à rappeler l'importance sur le plan continental comme un acteur majeur dans le processus d'édification de l'Etat de droit ? Peut-il défier le magistère de cette institution judiciaire sans risque de manquer gravement à ses obligations conventionnelles ?
- La condamnation le 28 avril 2020 par la justice ivoirienne de Guillaume Soro à 20 ans de prison, 4.5 milliards de francs CFA d'amende et à la privation de ses droits civiques pendant cinq ans, moins d'une semaine seulement après l'Ordonnance de la Cour africaine, sonne incontestablement comme un défi lancé à celle-ci qui a justement motivé sa décision, entre autres par le fait que « [...] les circonstances de l'affaire exigent le prononcé de mesures provisoires en application de l'article 27(2) du Protocole et de l'article 51 de son Règlement pour préserver le statu quo ante en attendant sa décision sur le fond». Quel serait le bénéfice d'un tel défi de l'Etat défendeur à la juridiction continentale dont la vision est justement celle d'une Afrique dotée d'une culture pérenne des droits de l'homme et de l'Etat de droit,
Telles sont, entres autres, les questions que l'on peut se poser à la lumière des suites que l'Etat défendeur semble donner à la décision de la Cour africaine du 22 avril 2020 et qui font malheureusement peser de sérieux doutes sur l'Etat de droit, voire sur l'indépendance du pouvoir judiciaire en République de Côte d'Ivoire.
Des inquiétudes face à un recul dangereux pour la protection régionale des droits de l'homme et des peuples
La réaction de l'Etat de Côte d'Ivoire, à la suite de l'Ordonnance de la Cour africaine dans l'affaire Guillaume Kigbafori Soro et autres, intervient aussi dans un contexte marqué par autre une affaire qui continue de faire débat, tout en suscitant des inquiétudes légitimes : l'affaire Sébastien Germain Marie Aïkoue Ajavon c. République du Bénin (Ordonnance du 17 avril 2020, portant mesure provisoire).
Par cette décision prise également « à l'unanimité » (sic), la Cour africaine a ordonné à l'Etat défendeur de « [...] surseoir à la tenue de l'élection des conseillers municipaux et communaux prévue pour le 17 mai 2020 jusqu'à ce que la Cour rende une décision au fond ». C'est dans ce contexte que l'Etat du Bénin, longtemps cité comme un modèle de démocratie et d'Etat de droit en Afrique, a pris la lourde et inquiétante décision (cf. Lettre du 21 avril 2020 transmise à l'Union africaine) de retirer aux individus et aux organisations non gouvernementales (ONG) le droit de soumettre des plaintes à la juridiction continentale.
L'Etat de Côte d'Ivoire vient de prendre la même décision, selon un communiqué en date du 28 avril 2020, présenté par Sidi Tiemoko Touré, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. Selon ledit communiqué, le Gouvernement a « décidé le 28 avril de retirer la déclaration de compétence prévue au protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples émise le 19 juin 2013». Le gouvernement ivoirien avance, comme motifs à l'appui de sa décision, que les récentes décisions de la Cour africaine, non seulement porteraient atteinte à la souveraineté de l'Etat de Côte d'Ivoire, mais aussi « [...] à l'autorité et au fonctionnement de la justice ». Que les mesures prises par cette juridiction seraient également « [...] de nature à entraîner une grave perturbation de l'ordre juridique (...) et à saper les bases de l'Etat de droit par l'instauration d'une véritable insécurité juridique » !
Les suites données par les Etats défendeurs (la République du Bénin et la République de Côte d'Ivoire) dans les deux affaires susvisées (à savoir l'affaire Guillaume K. Soro et autres c. Côte d'Ivoire et l'affaire Sébastien Germain Marie Aïkoue Ajavon c. République du Bénin) témoignent, à n'en point douter maintenant, d'une régression dangereuse en matière de protection des droits de l'homme et des peuples dans certains Etats du continent africain. Elles sont également la preuve tangible d'une certaine stratégie tendant à affaiblir les institutions africaines de protection des droits de l'homme et des peuples et à défier leur magistère...
Il serait vraiment temps que l'Union Africaine, dont la volonté et la clairvoyance supérieure ont rendu possible la création ainsi que la mise en œuvre effective de ces instances continentales de protection des droits de l'homme et des peuples, puisse en tirer toutes les conséquences aux fins de rassurer les citoyens africains. Et ils sont environ 1,3 milliard à espérer légitimement être protégés efficacement, non seulement par les juridictions de leurs Etats respectifs, mais aussi par celles voulues par l'ensemble de la communauté continentale représentée par l'Union africaine. Une Union africaine qui, rappelons-le, s'est engagée dès son Acte constitutif « à promouvoir les droits de l'homme et des peuples, à consolider les institutions et la culture démocratiques, à promouvoir la bonne gouvernance et l'Etat de droit » sur le continent africain.