Dmitri Strotsev, poète et militant des Droits de l’Homme biélorusse, était à l’UCLy le lundi 6 mars, pour une récitation de son recueil « Où j’étais pendant les quinze dernières années. Je criais. ». Une plongée émouvante dans la lutte contre l’oppression en Europe de l’Est, auprès d’un artiste qui l’a vécue.
Une représentation à l'UCLy
Le poète récite ses œuvres dans un amphithéâtre au silence pesant. Les langues biélorusse et ukrainienne résonnent, le ton se fait colérique ou suppliant, militant ou chuchotant…Si bien qu’il n’est pas toujours nécessaire d’attendre la traduction pour deviner le sens de ses mots. Puis après chaque poème vient la date, pour rappeler toutes ces guerres trop vite oubliées. En 2008, un jeune soldat russe s’embarque à bord d’un tank, il pense « visiter le monde » en allant envahir la Géorgie. En 2014, les troupes russes « s’écoulent comme un fleuve » pour aller occuper la Crimée. Elles ne versent « pas encore de sang » écrit Dmitri Strotsev, « pas encore » car il voit déjà venir la suite…
« Pas encore. »
Selon Dmitri Strotsev, l’invasion de l’Ukraine est le dernier maillon d’une « chaîne d’évènements » Une analyse qui fait écho à celle d’Alexandre Tcherkassov, de l’ONG Prix Nobel de la Paix Memorial, qui utilisait la même métaphore (au mot près !) lors d’une conférence à l’UCLy le 21 février. Depuis quinze ans, le poète écrit l’arrivée de cette guerre inéluctable dans l’indifférence générale. Ces avertissements ignorés donnent son titre au livre : « Où j’étais pendant les quinze dernières années. Je criais. »
Militant prodémocratie de toujours, Dmitri Strotsev a lui-même été la cible du régime d’Alexandre Loukachenko, le dictateur biélorusse qu’il décrit comme le « vassal » de Vladimir Poutine. Pendant la brutale répression des manifestations de Minsk en 2020, il est saisi en pleine rue par la police. Il sera emprisonné plusieurs semaines dans la tristement célèbre Prison n°8 de Jovino, ou s’entassent les prisonniers politiques. Torture et assassinat y sont des pratiques courantes. Dans le « bocal » du fourgon qui l’emmène en cellule, il imagine le poème le plus cru de son recueil.
Sur les parois
du box
dans le fourgon policierDes doigts ont laissé
des hiéroglyphesRouges et éloquents
commeL’écriture
infernale
des traces d’onglesSur les murs
des chambres à gaz
d’Auschwitz
Publier pour résister
Parler de la poésie de Dmitri Strotsev, c’est aussi parler de son arrivée en France grâce au travail de Sylvie Symaniec, fondatrice des éditions Le Ver à Soie. Chercheur habilitée à diriger des recherches, elle fait le pari de créer sa propre maison d’édition en 2013, spécialisée dans la littérature et la poésie de l’Europe de l’Est. Un choix mû par la passion, difficile à faire vivre. En temps de paix, le public français ne s’y intéresse guère.
De tous les livres du Ver à soie, « Où j’étais pendant les quinze dernières années. Je criais. » a connu le parcours le plus difficile. Alors que le travail de traduction d’Ariadna Tchatchabudzé, Svetlana Trofimova et Irène Imart était tout juste terminé, le Ver à Soie est lâché par son imprimeur. Le recueil est menacé de ne jamais voir le jour. Qu’importe. Sylvie Symaniec achète son propre massicot et une thermocolleuse : elle produira chaque ouvrage à la main. Un retour à l’artisanat des lettres, pour publier ce qui devait l’être.
Entre Dmitri Strotsev et son livre, ce sont donc deux histoires de Résistance qui se rencontrent. Ses vérités crues, et sa colère contre l’oppression, ne sont pas chez le poète une fatalité mais un appel à l’action. Dans le dernier poème qu’il récite lors de sa conférence, celui qui clôt son recueil, il nous laisse entrevoir un avenir plein d’optimisme, pour l’Ukraine et toute la région.
L’avenir sortira
Du sous-sol ukrainien
Et fermera les yeux, ébloui de lumière
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Fin mars dernier, les étudiants de Licence de Lettres Modernes de l’UCLy ont échangé avec le romancier sur son écriture et son histoire, lors d’une masterclass assez exceptionnelle.